
Analyse comparée
Cette section analyse les racines de la crise syndicale, ses manifestations dans les deux pays et les réponses que les syndicats tentent de déployer afin de réaffirmer leur rôle d'acteurs clés de la justice sociale et de la négociation collective.
INFLUENCE ET IMPACT DES SYNDICATS SUR LA POLITIQUE ET LA LEGISLATION
En France, les syndicats jouent un rôle crucial dans le processus politique et législatif. Ils participent activement aux consultations gouvernementales et aux négociations avec les autorités publiques. Par exemple, lors de l'élaboration de lois importantes, telles que les réformes du marché du travail ou des retraites, les syndicats sont souvent consultés et peuvent influencer la formulation de ces politiques en exprimant les préoccupations et les intérêts des travailleurs.
Les syndicats français exercent une influence significative sur les politiques sociales et économiques du pays. Leurs actions de lobbying, leurs manifestations et leurs grèves tactiques peuvent amener le gouvernement à reconsidérer ses politiques et à prendre en compte les revendications des travailleurs. En France, les grèves reconduites peuvent durer des semaines.
En Italie, les syndicats jouent également un rôle important dans la politique et la législation. Ils sont souvent consultés par le gouvernement lors de l'élaboration de lois concernant le marché du travail, la protection sociale et d'autres questions liées aux droits des travailleurs. En Italie, on assiste à un déclin du nombre de grèves en Italie. De 1 617 grèves en 2017, on est passé à 894 en 2020 (année de la crise Covid), 1 009 en 2021 et seulement 1 129 en 2022. La diminution du nombre de salariés dans le secteur industriel et la mondialisation des entreprises ont conduit de nombreux syndicats à réduire le nombre de grèves en recourant davantage aux tribunaux pour régler les litiges avec les multinationales.
PERCEPTION PUBLIQUE DES SYNDICATS
En France, les syndicats de travailleurs sont confrontés à une phase cruciale. Si la mobilisation contre la récente réforme des retraites a démontré une rare unité entre les principaux syndicats, la perception de leur efficacité par l'opinion publique et la baisse du nombre d'adhérents affaiblissent leur influence politique et de négociation.
Derrière l'apparente communion d'intentions se cachent cependant de profonds désaccords, notamment sur la question du financement des syndicats, un nœud économique de 30 milliards d'euros qui pèse sur le système français.
Selon une enquête récente, 55% des personnes interrogées - et pas seulement les salariés - jugent positivement les réalisations des syndicats au niveau de l'entreprise, notamment en matière de négociation d'augmentations salariales ou d'amélioration des conditions de travail. En revanche, au niveau national, le jugement devient beaucoup plus critique : près de deux Français sur trois jugent l'action des syndicats inefficace (42%) ou totalement inutile (22%).
Les modes de lutte traditionnels, tels que les grèves et les manifestations, semblent également perdre de leur popularité. Seule une minorité les considère comme des outils efficaces, tandis que 66 % des personnes interrogées rejettent les pétitions et 76 % rejettent catégoriquement les manifestations violentes.
En Italie, l'opinion publique sur les syndicats est fragmentée. Si beaucoup continuent de les considérer comme essentiels pour la protection des droits des travailleurs et l'amélioration des conditions de travail, les critiques se multiplient, les accusant d'être inefficaces, en particulier face aux changements rapides dictés par la mondialisation et les transformations économiques. Un signe inquiétant est l'augmentation du nombre de ceux qui pensent que le pays se porterait mieux sans eux.
Bien que le taux d'adhésion aux syndicats italiens soit l'un des plus élevés d'Europe, la confiance qu'ils inspirent est en baisse. En 2022, seuls 38 % des Italiens déclaraient faire confiance aux syndicats, tandis que 33 % les considéraient comme trop modérés dans leurs actions. Ce paradoxe - nombre élevé d'adhérents mais faible influence - met en évidence une crise de la représentation qui remet en question le rôle et le pouvoir des syndicats.
La sensibilité collective aux mobilisations sociales s'est progressivement émoussée au profit d'une mentalité plus individualiste. Ce changement a des racines profondes, qui remontent aux grands bouleversements socio-économiques des années 1980 et 1990, lorsque l'Italie s'éloignait du modèle industriel fordiste, symbole de l'essor économique.
PERSPECTIVES D'AVENIR ET DEFIS
En Italie, comme en France, le syndicalisme traverse une crise profonde et structurelle, marquée par un pluralisme interne, une faible représentativité, un fort interventionnisme de l'État et les pressions de la mondialisation. Les problèmes qui affectent les syndicats sont connus depuis longtemps, mais leur capacité à répondre aux transformations du monde du travail semble de plus en plus limitée.
L'un des principaux défis pour les syndicats est la difficulté de représenter les nouvelles réalités de la production et les changements dans la main-d'œuvre. Aujourd'hui, il y a plus de retraités que de travailleurs actifs enregistrés auprès des syndicats, et leur présence dans les secteurs de croissance, tels que les services et le secteur tertiaire, est minime. Parmi les professionnels non manuels, la jeune génération et les femmes, le syndicat peine à trouver un espace, restant ancré dans une base représentative traditionnelle.
Cette difficulté d'adaptation se manifeste par l'absence d'un langage capable d'intercepter les dynamiques du travail contemporain, qui a vu la disparition de la « classe ouvrière » en tant que référence culturelle et contractuelle. Les travailleurs industriels, qui constituaient autrefois l'élément identitaire des syndicats, représentent aujourd'hui une minorité fragmentée, tandis que d'autres professions et méthodes de travail se sont imposées, avec des horaires asynchrones et une frontière de plus en plus floue entre le travail manuel et le travail intellectuel.
La crise de la représentation est exacerbée par l'évolution des cultures professionnelles. L'accent mis sur la subjectivité, l'identification à l'entreprise et le développement professionnel individuel a transformé les attentes des travailleurs. La méritocratie, le développement personnel et la flexibilité sont devenus des valeurs fondamentales, mais les syndicats peinent à traduire ces priorités en protections et politiques concrètes. La fragmentation culturelle et professionnelle des travailleurs rend la négociation et la représentation de plus en plus complexes.
Le pluralisme interne contribue également à affaiblir le mouvement syndical. Les deux principaux syndicats italiens, la CGIL et la CISL, ne partagent pas la même vision stratégique. La CGIL, dirigée par Maurizio Landini, un leader très apprécié au sein de l'organisation et par les médias, maintient une position critique à l'égard des politiques du travail du gouvernement Meloni. Parmi ses principaux combats figurent la défense d'un salaire minimum légal de 9 euros de l'heure et l'extension des contrats nationaux aux travailleurs indépendants.
En revanche, la CISL adopte une ligne plus dialogique. Opposée au salaire minimum légal, l'organisation plaide pour des négociations plus ouvertes avec le gouvernement, favorisant la discussion sur d'autres mesures de soutien au travail. Cette divergence d'approches reflète les difficultés du mouvement syndical à présenter un front uni et à répondre de manière coordonnée aux défis actuels.
PERSPECTIVES SUR L'EVOLUTION DU ROLE DES SYNDICATS EN FRANCE ET EN ITALIE
En France, les syndicats ont entamé un processus de transformation pour répondre aux défis posés par le travail numérique et précaire. L'accent est mis sur la protection des droits des travailleurs indépendants et des plateformes numériques, deux catégories de plus en plus présentes dans le paysage de l'emploi, mais qui manquent souvent d'une protection adéquate.
Parallèlement, les syndicats continuent de jouer un rôle clé dans les négociations collectives, en défendant les acquis sociaux historiques et en cherchant à étendre la protection aux secteurs moins représentés. Cette double stratégie vise à maintenir la pertinence des syndicats dans un marché du travail en mutation.
En Italie, les syndicats sont confrontés à un double défi : regagner la confiance des travailleurs et moderniser leurs structures organisationnelles. La perte de crédibilité accumulée au fil des ans et le déclin de la confiance des travailleurs ont poussé les organisations à rechercher de nouveaux modes d'implication, en se concentrant sur le renforcement de la base militante et sur des pratiques organisationnelles plus agiles et plus innovantes.
Les syndicats italiens travaillent également à la promotion de politiques économiques et sociales plus inclusives. L'objectif est de lutter contre l'insécurité croissante de l'emploi et de réduire les inégalités, en mettant l'accent sur les jeunes et les secteurs les moins protégés.
Malgré les difficultés, les syndicats français et italiens tentent de redéfinir leur rôle dans un paysage syndical mondial de plus en plus complexe.
Le défi consiste à combiner tradition et innovation, en s'accrochant aux acquis historiques tout en élargissant la représentation aux nouveaux visages du travail contemporain. S'ils y parviennent, les syndicats pourront redevenir des protagonistes du débat social et économique.